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Page:Nordau - Dégénérescence, tome 1.djvu/151

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LES PRÉRAPHAÉLITES

étiïicelants d’or et des fêtes enivrantes, le temps où les choses esthétiques l’emportaient sur les choses utiles, le fantastique sur le rationnel, et où le méfait lui-même était beau, car l’assassinat était accompli avec des poignards ciselés et damasquinés, et le poison présenté dans des coupes historiées par Benvenuto Gellini.

Les romantiques français se servent de l’irréalité de leurs scènes et de leurs costumes principalement pour pouvoir doter sans contrainte leurs figures de toutes les qualités, exagérées jusqu’au monstrueux, que le Français, non encore aigri par la douleur de la défaite, aimait dans l’homme. C’est ainsi que nous apprenons à connaître, par les héros de Victor Hugo, Alexandre Dumas, Théophile Gautier, Alfred de Musset, l’idéal masculin et féminin français. Les spéculations philosophiques à la Faust ou les monologues à la Hamlet ne sont pas leur affaire. Ils causent inépuisablement, avec des antithèses et des mots d’esprit éblouissants ; ils se battent un contre dix, ils aiment comme Hercule dans la nuit thespidienne, et leur vie entière n’est qu’un long enivrement de combats, de voluptés, de vin, de parfums et de splendeurs, une sorte de folie des grandeurs avec des idées de gladiateur romain, de Don Juan et de Monte Christo, une folle dissipation de trésors inépuisables de force physique, de gaieté et d’or. Ces naïfs idéals humains devaient nécessairement porter des pourpoints ou des capes espagnoles et parler la langue de temps inconnus, puisque cette exubérance musculaire ne pouvait tenir dans notre habit de soirée étriqué, et que la conversation des salons parisiens ne permet pas les franchises de ces âmes retournées de dedans en dehors.