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LES PRÉRAPHAÉLITES

sont occupés des débuts de la formation de l’âme anglaise, G. Freytag et H. Taine, par exemple, citent le discours profond d’un chef anglais sur ce qui précède et suit la vie de l’homme, discours qui nous a été conservé par Béda dans son récit de la conversion du roi Edwin au christianisme [1]. Il témoigne que, dès le commencement du viie siècle, la soif ardente de s’expliquer le phénomène du monde dévorait les Anglo-Saxons. Or, cette belle et noble avidité de savoir est devenue à la fois la force et la faiblesse des Anglais. Elle les conduisit au développement parallèle des sciences naturelles et de la théologie. Les savants apportèrent des faits acquis par une pénible observation ; les théologiens, des systèmes composés de notions arbitraires ; mais tous deux élevèrent la prétention d’expliquer l’essence des choses, et le peuple leur fut profondément reconnaissant aux uns et aux autres, aux théologiens toutefois plus qu’aux savants, parce que ceux-là pouvaient enseigner plus abondamment et avec plus d’aplomb que ceux-ci. Le penchant des hommes à accorder la même valeur aux mots qu’aux faits et aux affirmations qu’aux preuves, donne toujours au théologien et au métaphysicien un avantage énorme sur l’observateur. La soif de savoir des Anglais a produit à la fois la philosophie d’induction et le spiritisme. L’humanité lui doit lord Bacon, Harvey, Newton, Locke, Darwin, John-Stuart Mill, mais aussi Bunyan, Berkeley, Milton, les puritains, les quakers, et tous les visionnaires religieux, apocalypticiens et mé-

  1. Gustave Freytag, Tableaux du passé allemand. Premier volume : Le moyen âge. Leipzig, 1872, p. 266. — H. Taine, Histoire de la littérature anglaise. Paris, 1866, 2e édition, t. I, p. 46.