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LE MYSTICISME

émotions. Ils introduisirent, en conséquence, dans leurs tableaux, des allusions mystérieuses et des symboles obscurs qui n’avaient rien à faire avec la reproduction de la réalité visible. Je voudrais citer un seul exemple : L’Ombre de la mort, de Holman Hunt. Dans ce tableau, le Christ se tient en une attitude de prière orientale, les bras écartés, et l’ombre de son corps tombant sur le sol présente la forme d’une croix. Nous avons ici un exemple instructif des procédés de pensée mystiques. Holman Hunt se représente le Christ en prière. Par l’association d’idées s’éveille en même temps en lui la représentation de la future mort en croix du Christ. Il veut rendre visible par les moyens de la peinture cette association d’idées. Et alors il fait jeter par le Christ vivant une ombre qui prend la forme de la croix, c’est-à-dire prédit le sort du Sauveur, comme si quelque puissance mystérieuse inconcevable avait dirigé son corps vers les rayons du soleil, de façon qu’une miraculeuse annonce de sa destinée dût s’inscrire sur le sol. L’invention est de tous points absurde. C’eût été de la part du Christ un jeu puéril de dessiner à l’avance de son ombre sur le sol , soit par plaisanterie , soit par vantardise, son sacrifice sublime. L’image produite par l’ombre n’aurait eu non plus aucun but, car nul contemporain du Christ n’aurait compris la signification d’une croix d’ombre, avant que le Christ eût subi la mort sur la croix. Mais, dans la conscience d’Holman Hunt, l’émotion a éveillé simultanément l’image du Christ priant et celle de la croix, et il rattache n’importe comment l’une à l’autre les deux idées, sans égard à leur rapport rationnel. Si un « primitif » avait eu à peindre la même idée,