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LES PRÉRAPHAÉLITES

moyen âge la même signification que, pour nos contemporains, les illustrations dans les ouvrages d’ethnographie et de sciences physiques et naturelles. Sa tâche était de raconter et d’enseigner, et, pour cette raison, elle devait être exacte. Nous apprenons par la strophe touchante de Villon comment le peuple du moyen âge, qui ne savait pas lire, considérait les tableaux d’église. Le poète libertin fait dire par sa mère à la Sainte Vierge :

Femme je suis povrette et ancienne,
Ne riens ne sçay ; oncques lettre ne leuz ;
Au monstier voy, dont suis parroissienne,
Paradis painct, où sont harpes et luz,
Et ung enfer où damnez sont boulluz :
L’ung me faict paour ; l’autre, joye et liesse.
La joye avoir fais-moy, haulte deesse,
A qui pecheurs doivent tous recourir,
Comblez de foy, sans faincte ne paresse;
En ceste foy, je vueil vivre et mourir [1].

Avec cette foi simple, une manière de peindre mystique aurait été incompatible. Le peintre évitait aussi tout ce qui est flottant, mystérieux ; il ne peignait pas des rêves et des dispositions d’esprit nébuleux, mais des documents positifs. Il avait à convaincre et le pouvait, car il était lui-même convaincu.

Tout autrement procédèrent les préraphaélites. Ils ne peignirent pas des vues sobrement conçues, mais des

  1. Œuvres complètes de François Villon, nouvelle édition, par P.-L.
    Jacob, bibliophile. Bibliothèque Elzévirienne, Paris, 1854, p. 105-
    107 : « Ballade que Villon feit à la requête de sa mère, pour prier
    Nostre-Dame ». — Il est caractéristique que le préraphaélite Rossetti
    ait précisément traduit cette pièce de Villon {His mothers
    service to our Lady, Poems
    , p. 180).