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LE MYSTICISME

que celui-là emploie a en soi un sens rationnel ; il est de plus fait pour éveiller en tout homme sain des émotions ; les émotions éveillées se rapportent enfin à l’objet du poème Un exemple va rendre la chose claire. Uhland chante en ces termes l'Éloge du Printemps :

Verdure des semences, parfum des violettes,
Trilles d’alouettes, chants de merles,
Pluie de soleil, douce brise,
Quand je chante de telles paroles.
Est-il besoin d’ajouter d’autres choses
Pour te célébrer, journée de printemps ?

Chaque mot des trois premiers vers renferme une représentation de choses ; chacun de ces mots éveille dans un homme qui sent naturellement, des sentiments joyeux. Ces sentiments réunis amènent la disposition d’esprit que l’éveil du printemps crée dans l’âme, et c’est justement le but que se proposait le poète. Si, au contraire, Rossetti glisse les nombres « trois » et « sept » dans la description de sa « damozel », ces nombres en eux ne signifient absolument rien ; ils n’éveilleront pas la moindre émotion chez un lecteur sain d’esprit qui ne croit pas aux nombres mystiques ; mais, même chez le lecteur dégénéré et hystérique sur lequel la kabbale fait de l’impression, les émotions provoquées par les nombres sacrés ne se rapporteront pas à l’objet du poème, — l’apparition d’une morte bien-aimée, — mais évoqueront tout au plus une disposition d’esprit générale qui peut-être pourra profiter de loin à la « damozel ».

Mais poursuivons l’analyse du poème. Il semble à la damoiselle bénie qu’elle est depuis un jour seulement une