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LES PRÉRAPHAÉLITES

nent en tous sens, parmi les lis et les roses, de belles vierges roses et blanches à la taille élancée.

La damoiselle bénie continue à se dépeindre le tableau de la réunion avec le bien-aimé, puis nous lisons ceci : « Elle posa ses bras sur la rampe dorée, laissa tomber son visage entre ses mains, et pleura. J’entendis ses pleurs ».

Ces pleurs sont incompréhensibles. La damoiselle bénie vit, après sa mort, au comble de la plus haute félicité, dans un palais d’or, à la face de Dieu et de la Sainte Vierge. Qu’est-ce qui maintenant la tourmente ? Que son bien-aimé n’est pas encore auprès d’elle ? Dix années des hommes mortels sont pour elle comme un jour. S’il devait même être accordé à son bien-aimé de devenir très âgé, elle aurait au plus à attendre cinq ou six de ses jours pour le voir paraître à son côté, et au bout de ce laps de temps bien minime fleurirait pour tous deux la félicité éternelle. On ne peut donc comprendre pourquoi elle a du chagrin et verse des larmes. Cela ne s’explique que par le penser confus du poète mystique. Il se représente une vie heureuse après la mort ; mais en même temps apparaissent vaguement dans sa conscience d’obscures images d’anéantissement de la personnalité et de séparation définitive par la mort, et ces images provoquent les émotions douloureuses qui accompagnent habituellement les idées de mort, de corruption, de renonciation à tous ceux qu’on aime. Il arrive ainsi à terminer un hymne enthousiaste à l’immortalité. par des larmes qui n’ont de sens qu’autant qu’on ne croit pas à la survivance après la mort. Il y a d’ailleurs dans le poème d’autres contradictions qui font