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Page:Nordau - Dégénérescence, tome 1.djvu/178

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LE MYSTICISME

voir que Rosselti n’a pas formé une seule de ses représentations assez nettement pour qu’elle exclue des représentations opposées, incompatibles avec elle. C’est ainsi qu’à un endroit, les morts sont habillés de blanc et parés d’une auréole ; ils apparaissent par couples et s’adressent de tendres noms ; on doit donc se les figurer avec une ressemblance humaine. A un autre endroit, au contraire, les âmes redeviennent de « minces flammes « qui glissent furtivement devant la damoiselle. Chaque image du poème que nous voulons examiner de sang-froid se volatilise infailliblement de cette façon dans le ténébreux et l’informe.

Dans la Divine Comédie, dont l’écho susurrant résonne dans l’âme de Rossetli, nous ne trouvons rien de semblable. C’est que le Dante, comme les peintres primitifs, était mystique par ignorance, non par faiblesse d’esprit dégénérescente. La matière première de sa pensée, le matériel des faits qu’il élaborait, tout cela était faux, mais leur emploi par son esprit était sûr et logique. Toutes ses représentations sont claires, bien agencées, libres de contradictions intimes. Son enfer, son purgatoire, son paradis, il les construisit avec la science de son temps, qui tirait exclusivement sa notion du monde de la théologie dogmatique. Dante connaissait le système de son contemporain Thomas d’Aquin (il avait neuf ans à la mort du docteur angélique) et en était pénétré. Pour les premiers lecteurs de l'Enfer, le poème devait sembler au moins aussi fondé sur les faits et convaincant, que pour le public d’aujourd’hui l'Histoire de la Création de Hæckel. Les siècles futurs verront peut-être, et même vraisemblable-