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CRÉPUSCULE DES PEUPLES

la vieillesse, dans la maison où jeune, il a vécu son roman d’amour. Rien n’est changé. Les fleurs embaument dans le jardin, les oiseaux gazouillent joyeusement dans les grands arbres où ils ont déposé leurs nids, des enfants espiègles s’amusent bruyamment sur le frais gazon. Lavretzky seul est devenu vieux et contemple, chagrin et mis à l’écart, le tableau de cette nature qui poursuit gaiement son existence, ne se souciant nullement que la bien-aimée Lise ait disparu et que Lavretzky soit maintenant brisé et fatigué de la vie. La compréhension par Lavretzky que, au milieu de cette nature éternellement jeune, éternellement florissante, lui seul n’a plus de lendemain ; le cri d’agonie d’Alving : « Le soleil ! le soleil ! » dans Les Revenants d’Ibsen, — voilà la véritable disposition « fin de siècle » chez nos contemporains.

Le mot à la mode est empreint de ce vague qui le rend apte à indiquer toutes les choses à demi conscientes et peu nettes qui s’agitent dans les esprits. De même que les mots « liberté, idéal, progrès », qui paraissent exprimer des notions et sont simplement des sonorités, « fin de siècle », lui aussi, ne dit rien en lui-même et reçoit une signification variable selon le cercle d’idées de ceux qui s’en servent.

Le plus sûr moyen de savoir ce qu’on entend par « fin de siècle » est de passer en revue une série de cas où ce mot a été employé. Ceux que nous allons citer ici sont empruntés aux journaux et aux livres français des deux dernières années[1].

  1. Une comédie en quatre actes de MM. H, Micard et F. de Jouvenot, Fin de Siècle, jouée à Paris en 1890, n’apporte à peu près