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FIN DE SIÈCLE

absurdités, et à part l’habit rouge à boutons de métal et les culottes avec bas de soie par lesquels quelques idiots à monocle et à gardénia cherchent à ressembler aux artistes des théâtres de singes, on remarque en eux peu de choses qui s’écartent du type régnant du costume masculin de notre temps. Mais en matière d’ajustement des têtes, la fantaisie exerce d’autant plus librement son caprice. Celui-ci montre les boucles courtes et la barbe frisée à deux pointes de Lucius Verus ; celui-là, la tête rasée au milieu en une large raie, sur les côtés les cheveux plus longs, et la moustache rare, hérissée comme chez les chats, d’un kakemono japonais ; son voisin, la barbiche de Henri IV ; un autre, la moustache farouche d’un lansquenet de F. Brun ou de Callot, ou l’énergique touffe de barbe des gardes civiques dans la Ronde de nuit de Rembrandt.

Le caractère commun de tous ces êtres, c’est de ne pas donner leur véritable nature, mais de vouloir représenter quelque chose qu’ils ne sont pas. Ils ne se contentent pas de montrer leur formation naturelle ni de rehausser celle-ci par des artifices permis, adaptés à leur type justement senti, mais cherchent à incarner un modèle quelconque de l’art qui n’a aucune parenté avec leur propre schéma et souvent même lui est violemment opposé ; et très fréquemment ils n’imitent pas seulement un modèle, mais plusieurs modèles à la fois, qui grincent les dents les uns contre les autres. Ainsi apparaissent des têtes assises sur des épaules auxquelles elles ne font pas suite, des tenues dont les différentes pièces sont incohérentes comme un costume de rêve, des associations de couleurs qui semblent avoir été composées dans l’obscu-