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DIAGNOSTIC

dans leurs facultés. Les unes sont complètement étiolées, les autres pathologiquement exagérées. Ce qui manque à presque tous les dégénérés, c’est le sens de la moralité et du droit. Pour eux n’existe aucune loi, aucune convenance, aucune pudeur. Ils commettent avec la plus grande tranquillité et la plus vive satisfaction des crimes et des délits, pour contenter un instinct, une inclination, un caprice momentanés, et ne comprennent pas que d’autres s’en formalisent. Quand ce phénomène apparaît à un haut degré, on parle de « folie morale », « la moral insanity » de Pritchard et de Maudsley[1]. Mais il y a aussi des degrés moindres où le dégénéré, sans faire peut-être lui-même rien qui l’expose aux lois pénales, justifie en théorie le crime, cherche à démontrer, avec une abondante phraséologie pseudo-philosophique, que « bien » et « mal », vertu et vice, sont des distinctions arbitraires, s’enthousiasme pour les criminels et leurs actes, découvre de soi-disant beautés dans les choses les plus abjectes et les plus repoussantes, et cherche à éveiller de la sympathie et de la « compréhension » pour toutes les bestialités. Les deux racines psychologiques de la folie morale à tous les degrés de développement sont d’abord un égoïsme monstrueux [2],

  1. Lire notamment à ce sujet : Krafft-Ebing, La doctrine de la folie morale 1871 ; — H. Maudsley, Crime et Folie. Bibliothèque scientifique internationale ; — et Gh. Féré, Dégénérescence et Criminalité. Bibliothèque de philosophie contemporaine. Paris, 1888.
  2. J. Roubinovitch, Hystérie mâle et dégénérescence. Paris, 1890, p. 62 : « La société qui l’entoure (lui, le dégénéré) est tout à fait étrangère pour lui, et il ne connaît ni ne s’intéresse qu’à lui-même ». Legrain, Du délire chez les dégénérés. Paris, 1886, p. 10 : « Le malade est… le jouet de ses passions, il est emporté par ses instincts, il n’a plus qu’une préoccupation, celle de satisfaire ses appétits ». p. 27 : « Ils sont égoïstes, orgueilleux, vaniteux, infatués d’eux-mêmes ».