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FIN DE SIÈCLE

puis l’impulsivité [1], c’est-à-dire l'impossibilité de résister à n’importe quelle impulsion soudaine, et ces deux choses forment aussi les principaux stigmates intellectuels des dégénérés. J’aurai occasion de démontrer, dans les chapitres suivants, pour quelles causes organiques, par suite de quelles particularités de leur cerveau et de leur système nerveux, les dégénérés doivent être égoïstes et impulsifs. Dans cette introduction, j’ai voulu me borner à caractériser le stigmate même.

Un autre stigmate intellectuel des dégénérés est leur émotivité. Morel a même prétendu faire de cet attribut leur marque distinctive capitale, mais à tort, selon moi [2] car il paraît dans la même mesure aussi chez les hystériques, et se trouve même chez des personnes absolument saines qu’une cause passagère, maladie, épuisement, fort ébranlement moral, a affaiblies temporairement. En tout cas, c’est un phénomène qui manque rarement chez le dégénéré. Il rit jusqu’aux larmes ou pleure abondamment pour une excitation disproportionnément faible ; un vers ou une ligne en prose ordinaires lui font passer un frisson dans le dos : des statues et des tableaux indifférents le plongent dans le ravissement, et la musique tout particulièrement, même insipide et de peu de mérite, provoque chez lui la plus violente émotion [3]. Il est très fier d’être un in-

  1. Henri Colin, Essai sur l'état mental des hystériques. Paris, 1890, p. 59 : « Deux grands faits dominent toute l’existence du dégénéré héréditaire, l’obsession et l’impulsion, toutes deux irrésistibles ».
  2. Morel, Du délire émotif. Archives générales 6e série, 7e vol. , p. 385 et 530. Voir aussi Roubinovitch, op. cit., p. 53
  3. Roubinovitch, op. cit., p. 68 « La musique l’émotionne vivement ».