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Page:Nordau - Dégénérescence, tome 1.djvu/53

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DIAGNOSTIC

strument qui vibre si fortement, et il se vante de sentir tout son être intérieur ravagé, toute son âme résolue, et d’éprouver jusqu’au bout des doigts la volupté du beau, là où le philistin reste complètement froid. Son excitabilité lui semble une supériorité, il croit posséder une compréhension particulière qui manque aux autres mortels, et il méprise volontiers le vulgaire dont les sens sont émoussés et fermés. Le malheureux ne soupçonne pas qu’il est fier d’une maladie et se vante d’un trouble intellectuel ; et certains critiques niais qui, par crainte d’être accusés d’incompréhension, font des efforts désespérés pour ressentir, en face de n’importe quelle œuvre floue ou ridicule, les émotions d’un dégénéré, ou célèbrent en expressions exubérantes les beautés que le dégénéré affirme y trouver, imitent inconsciemment un des stigmates de la demi-folie.

A côté de la folie morale et de l’émotivité, on observe chez le dégénéré un état d’adynamie et de découragement intellectuels qui revêt, selon les circonstances, la forme du pessimisme, d’une crainte vague de tous les êtres humains et de tout le phénomène du monde, ou le dégoût de soi-même. « Ces malades », dit Morel, « ont un besoin continuel de... se plaindre, de sangloter, de répéter les mêmes questions et les mômes mots, avec la monotonie la plus désespérante. Ils ont des conceptions délirantes de ruine, de damnation, de craintes imaginaires [1] ». « L’ennui qui ne me quitte pas », dit un semblable malade dont Roubinovitch nous conte l’histoire, « c’est l’ennui de moi-

  1. Morel, Du délire panophobîque des aliénés gémisseurs. Annales médico-psychologiques, 1871.