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FIN DE SIÈCLE

non seulement toutes les bigotes et les hystériques mâles des environs accourus au miracle crurent que la fillette hallucinée avait elle-même vu l’apparition, mais tous virent de leurs propres yeux la Sainte Vierge. M. Edmond de Goncourt raconte le fait suivant, relatif à la guerre de 1870 : « Mais la dépêche qui annonce la défaite du prince de Prusse, et la prise de 25 000 prisonniers, cette dépêche, dit-on, affichée dans l’intérieur de la Bourse (de Paris), cette dépêche, que me déclarent avoir lue des gens, au milieu desquels je la cherche dans l’intérieur, cette dépêche que — dans une étrange hallucination — des gens croient voir, en me faisant d’un doigt indicateur : « Tenez, la voilà, là ! »… et me montrant au fond un mur où il n’y a rien, — cette affiche, je ne peux la découvrir, la cherchant et la recherchant dans tous les coins de la Bourse [1] ». On pourrait citer par douzaines de ces exemples d’illusions des sens suggérées à une foule excitée. Les hystériques se laissent donc, sans plus de façons, convaincre de la magnificence d’une œuvre, et ils y trouvent même ensuite des beautés de l’ordre le plus élevé, auxquelles son auteur et les trompettes de la renommée de celui-ci n’ont pas le moins du monde pensé. Une fois la secte suffisamment constituée pour avoir, outre son fondateur et les prêtres de son temple, les sacristains salariés et les enfants de chœur, encore une communauté, des processions avec bannières et chants et des cloches retentissantes, alors se joignent à elle d’autres croyants, en plus des hystériques qui se

  1. Journal des Goncourt, dernière série, premier volume : 1870-1871. Paris, 1890, p. 10.