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Page:Nordau - Dégénérescence, tome 1.djvu/88

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FIN DE SIÈCLE

croît de fatigue qui leur est actuellement imposé. Et même s’ils avaient en excès les aliments les plus choisis, cela ne leur servirait à rien, car ils seraient incapables de les digérer. Notre estomac ne peut marcher du même pas que notre cerveau et notre système nerveux ; celui-ci réclame beaucoup plus que l’autre n’est à même de donner. Il arrive donc ce qui arrive toujours quand, à de grandes dépenses, répondent de petits revenus : on consomme d’abord les économies, puis la banqueroute arrive.

L’humanité civilisée fut surprise à l’improviste par ses nouvelles découvertes et ses nouveaux progrès ; il ne lui resta pas de temps pour s’adapter aux conditions de vie nouvelles. Nous savons que nos organes acquièrent par l’exercice une capacité fonctionnelle de plus en plus grande, qu’ils se développent par leur propre activité et peuvent répondre à des exigences pour ainsi dire illimitées ; seulement à une condition : c’est que cela se fasse peu à peu, qu’il leur soit laissé du temps ; s’ils doivent fournir sans transition un multiple de la tâche habituelle, ils sont bien vite complètement paralysés. On n’a pas laissé de temps à nos pères. Pour ainsi dire d’un jour à l’autre, sans préparation, avec une soudaineté meurtrière, ils ont dû changer le pas commodément lent de l’existence antérieure contre la course échevelée de la vie moderne, et ni leur cœur ni leurs poumons n’y résistèrent. Les plus forts, eux, purent suivre, et, dans la progression la plus rapide, ne perdirent pas haleine ; mais les moins vigoureux tombèrent bientôt de droite et de gauche, et remplissent aujourd’hui de leurs corps les fossés de la voie du progrès.