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ÉTIOLOGIE

Pour parler sans métaphore, la statistique indique dans quelle mesure la somme de travail de l’humanité civilisée s’est accrue depuis un demi-siècle. Cette dernière n’était pas entièrement de taille à supporter cet effort plus grand. Il l’a fatiguée et épuisée, et cet épuisement et cette fatigue se manifestent, chez la première génération, sous forme d’hystérie acquise ; chez la seconde, d’hystérisme héréditaire.

Les nouvelles écoles esthétiques et leur succès sont une forme de cette hystérie en masse ; mais elles sont loin d’être la seule. La maladie de l’époque se manifeste encore par beaucoup d’autres phénomènes qui peuvent être mesurés et comptés, c’est-à-dire qui sont susceptibles d’être constatés scientifiquement. Et ces symptômes certains et non équivoques d’épuisement sont bien propres à éclairer les profanes qui pourraient croire à première vue que c’est arbitrairement que le spécialiste rapporte à l’état de fatigue de l’humanité civilisée les tendances à la mode dans l’art et la littérature.

C’est devenu un lieu commun de parler de l’augmentation constante des crimes, de la folie et des suicides. En 1840, en Prusse, sur 100 000 personnes ayant l’âge de la responsabilité criminelle, il y avait 714 condamnés ; en 1888, 1102. (Communication épistolaire du bureau de statistique prussien). En 1865, sur 10 000 Européens il se produisait 63 suicides ; en 1883, 109, et, depuis, le nombre en a encore considérablement augmenté. On a, dans les vingt dernières années, découvert et dénommé un certain nombre de nouvelles maladies nerveuses [1]. Que

  1. V.-G. André, Les nouvelles maladies nerveuses. Paris, 1892.