Page:Nordau - Les mensonges conventionnels de notre civilisation, Alcan, 1897.djvu/8

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méritait, ne fût-ce qu’à titre de curiosité, de passer dans notre langue à son tour. Rien de ce qui touche à l’Allemagne, on ne saurait le répéter trop souvent ni trop haut, ne doit désormais nous rester étranger, et il y a pour nous un intérêt de premier ordre — un intérêt national — à lire et à traduire les livres des Allemands, comme ceux-ci lisent et traduisent les nôtres. Le vrai patriotisme, celui des gens éclairés et qui comptent, consiste non à dédaigner et à ignorer son adversaire, mais à l’étudier et à l’observer de près, afin de connaître son fort et son faible, et, le cas échéant, de tirer le meilleur profit possible des constatations faites à son sujet.

Quant au jugement à porter sur l’ouvrage en question, nous en abandonnons le soin au lecteur. Tout ce qu’on est en droit de demander à un traducteur, en une matière faite pour soulever des appréciations fort opposées, c’est de s’acquitter consciencieusement de la partie matérielle de sa tâche, sans empiéter sur les attributions spéciales de la critique. Son seul rôle, en un tel cas, est de présenter au lecteur une glace transparente et incolore, à travers laquelle chacun découvrira ce que sa nature d’esprit, son tempérament, ses habitudes d’action et de pensée le portent à apercevoir. Les Allemands, grands glossateurs, comme tout le monde sait, reprennent volontiers pour leur propre compte le principe posé par Spinoza dans sa Réforme de l’Entendement, à savoir que nulle chose, considérée en elle-même, ne peut être dite parfaite ou imparfaite, et qu’il faut se borner autant que possible à la comprendre, sans la blâmer ni la louer : ce qui revient à dire que c’est une méthode philosophique vicieuse de faire de nos sympathies et de nos antipathies le criterium de la justesse de tel ou tel point de vue. Ce