Page:Normand - Soleils d’Hiver, 1897.djvu/115

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Où, sans songer jamais aux douteux lendemains,
On s’en irait, toujours content, par les chemins ;
Où, Crésus ignorant des fâcheuses « débines »,
Fréquentant des boudoirs farcis de Colombines,
On sentirait en soi, prestigieux coquin,
L’âme multicolore et fraîche d’Arlequin !

Mais cette illusion si suavement folle
Par degrés s’atténue, et s’efface, et s’envole ;
À croiser tous ces corps sans sourire, sans yeux,
Ce tourbillon hurlant de gens mystérieux,
Ce problème vivant, cet inconnu de l’être
Qu’on ne peut pénétrer plus qu’il ne vous pénètre,
On éprouve comme un étrange mouvement
De tristesse, au milieu de cet enivrement…
Ce flot d’humanité voilée, énigmatique,
Vous oppresse à l’égal d’un rêve fantastique ;
On se sent l’âme vide et le cerveau troublé
Par cet incognito toujours renouvelé ;
Une fièvre vous prend, un vertige, une rage
De voir enfin, de voir une tête, un visage ;
De brusquement saisir, de tordre, d’arracher
Un de ces masques noirs obstinés à cacher…
On s’énerve, on s’irrite, — et l’on cherche enfin, comme
Diogène, parmi ces fantômes, un homme !