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volonté qui lui ont valu partout la première place dans le reste de sa carrière.

On ne lira pas sans intérêt le récit suivant, tout-à-fait dramatique, sur cette époque si intéressante de la vie d’un grand homme, dans laquelle se montrèrent les germes de toutes les éminentes qualités qui l’ont si fort distingué. Je le dois à l’un de ses camarades de classe, qui est en même temps son proche parent.

Quelques souvenir qui me sont restés de l’enfance et de la première jeunesse de M. G. Cuvier.

Si ma mémoire ne me trompe, c’est de 1775 à 1776 que j’ai commencé à connaître M. Cuvier. Il pouvait avoir six ans et j’en avais à peu près huit. On le citait dès-lors comme un enfant d’une intelligence, d’une application et d’un savoir peu communs. Je ne tardai pas à avoir occasion de me convaincre qu’il n’était point au-dessous de sa renommée. Il vint passer quelques jours à B…, chez mon père, avec sa mère et M.lle B… Nous étions tout ébahis, mon frère et moi, de l’entendre lire et déclamer des vers, comme l’aurait fait un homme de vingt ans ; de voir la netteté et la beauté de son écriture ; son habileté à dessiner ; son adresse à découper à jour du papier ou des cartes, etc. Dans cette dernière partie il n’avait eu d’autre maître que mon oncle, son père, qui s’y entendait fort bien. Durant la visite dont je parle, il passa par le village un charlatan, qui faisait de jolis tours de passe-passe. Mon père le fit venir, le soir, à la maison curiale, pour amuser un peu la société, qui devint bientôt assez nombreuse par l’arrivée de plusieurs de nos voisins. Notre homme nous en donna de toutes les façons. Différens jeux de cartes très-subtils ; une fontaine de héron, qui coulait et s’arrêtait au son de sa parole ; une espèce de poignard qu’il semblait s’enfoncer dans le bras et qu’il retirait tout dégouttant de sang, émerveillèrent particulièrement les spectateurs, même ceux qui avaient, sans doute, déjà vu d’autres bateleurs. Mon petit cousin examinait tout avec grande attention, et parut peu surpris ; il expliqua même le jeu de la fontaine de héron, le mécanisme du poignard, qu’il nous dessina, et qu’il découpa en papier. Il eut sa bonne part de l’admiration et des applaudissemens de l’assemblée.

Ce premier séjour qu’il fit chez nous, et que je trouvai trop