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Si la science accorda une grande part de ses faveurs à M. Cuvier dès le moment, pour ainsi dire, où il eut mis le pied dans la capitale de la France, la fortune ne lui sourit pas aussi promptement qu’elle. N’ayant absolument d’autres ressources que les revenus de ses places, obligé même de les partager avec son vieux père, il a dû se trouver souvent très-gêné, par suite de l’irrégularité qu’un gouvernement mal assis (celui du Directoire) mettait dans le paiement des administrations de toute espèce. Je trouve des traces de cet état de gêne dans plusieurs de ses lettres à feu Hermann, qui sont remarquables par sa manière d’en parler et de le supporter.

« Il ne faut pas que vous croyiez que la position des savans soit beaucoup plus agréable à Paris qu’a Strasbourg, pour ce qui regarde la fortune. Il est vrai qu’ils peuvent au moins se consoler par l’étude ; mais a quoi servirait la sagesse, si elle ne nous aidait à supporter le malheur. »

Cette lettre est du 9 Février 1798.

Il paraît que dans sa correspondance subséquente Hermann lui parlait de nouveau des avantages dont il croyait les savane de Paris favorisés. Voici ce que M. Cuvier lui répond encore à ce sujet, dans une lettre écrite en 1800 (an 8), et qui a probablement été la dernière qu’Hermann reçût de lui avant sa mort, laquelle eut lieu cette même année.

Mon cher et savant confrère,

« Ne vous imaginez pas que Paris soit si fort favorisé ; on doit douze mois au Jardin des plantes et à tous les établissemens nationaux d’instruction publique de Paris, comme à ceux de Strasbourg ; et si nous portons envie aux éléphans, ce n’est pas parce qu’ils sont mieux payés que nous, mais parce que, s’ils vivent comme nous à crédit, du moins ils ne le savent pas, et n’en ont, par conséquent, pas le chagrin. Vous savez qu’on dit des Français qu’ils chantent quand ils n’ont pas d’argent. Nous autres savans, qui ne sommes pas musiciens, nous faisons de la science au lieu de chanter, et cela revient au même. Croyez-moi, mon cher confrère, cette philosophie française vaut bien celle de Wolff et même celle de Kant, et vous êtes encore plus à même que nous de la mettre à profit ; puisque vous pouvez encore acheter de beaux livres et même des ana-