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bon, dut voir avec peine se répandre de plus en plus ces funestes doctrines, qui font d’un froid amour-propre le mobile unique des actions humaines. Semblable à ce philosophe qui marchait pour prouver le mouvement, il a voulu montrer tout ce qu’il y a parmi les hommes de vertus désintéressées. En effet, qui pourra désormais jeter les yeux sur nos annales, et y voir tant de malheureux se priver d’une chétive subsistance pour élever des orphelins qui leur sont étrangers, tant de vieux domestiques, épuisant ce qui leur reste de forces pour soutenir des maîtres devenus indigens et infirmes, tant de pauvres ouvriers hasardant leur vie dans le péril d’autrui, tant de femmes faibles et malades bravant la mort pour lui arracher quelques victimes, et cela tous les jours, tous les instans de la vie, avec une persévérance qui ne se dément jamais ? Qui, pourra, dis-je, apprendre tant de beaux traits, et ne pas s’écrier que ces désolantes théories ne sont que d’horribles paradoxes, et que cet amour de nos semblables, ce plaisir de leurs plaisirs, cette souffrance de leurs souffrances, que la religion met au premier rang des vertus chrétiennes, est aussi le premier des penchans que la nature imprime en nous. C’est l’instinct du cœur, comme l’abstraction et la parole sont l’instinct de l’esprit. On l’appelle humanité, et avec grande raison ; car c’est le caractère moral de l’espèce humaine, et il ne lui est pas moins inhérent que ses caractères physiques. »

La vertu, qui seule peut donner à l’humanité sa vie la plus parfaite, et dont le nom est devenu, dans notre langue, synonyme de toute espèce de force salutaire,