Page:Nouvelle revue germanique, tome 9, 1831.djvu/159

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suite d’une irritation cérébrale qu’il s’attira en voulant remplacer de mémoire les manuscrits qu’il avait perdus dans un voyage maritime. Il paraît que diverses causes ont concouru à priver de l’usage de sa raison un homme dont l’imagination ardente se sentait péniblement affectée par la réalité. ― Quoi qu’il en soit, Hœlderlin entra à l’hospice des aliénés de Tubingue en 1806. Comme au bout d’un an les médecins le déclarèrent incurable, il fut placé chez un menuisier de la même ville qu’il affectionne beaucoup et chez lequel il est encore, image vivante du néant de l’homme. Cependant son ame, toujours belle, se retrempe parfois au sein de la nature. On retrouve même des étincelles de son génie dans ce qu’il écrit, surtout dans les lettres à sa mère et à sa sœur, qu’il aime au-delà de toute expression.

Il est digne de remarque qu’en passant par Paris pour retourner en Allemagne, il parcourut cette ville avec son conducteur sans lever la tête et comme s’il était poursuivi par des fantômes ; qu’encore aujourd’hui il évite de parler de Paris et prétend ne l’avoir jamais vu, tandis qu’il aime à s’entretenir sur la cause des Grecs. Dès qu’il fut informé de leur insurrection, il se remit à lire les journaux et Hypérion dont il déclamait avec feu les passages les plus saillans. ― Mais il est temps de jeter un coup d’œil sur cet ouvrage qui, si je ne m’abuse, renferme la clef du triste état de son auteur : « Mon ame, dit Hypérion, mon ame a été arrachée à son élément comme le poisson qu’on jette sur le rivage ; elle se tourne en tout sens jusqu’à ce qu’elle soit desséchée par les rayons brûlans du jour.

« Hélas, si seulement il y avait pour moi une occupation quelconque dans ce monde ! une entreprise utile, une guerre sanglante, cela me ferait du bien !

« On dit qu’une louve allaita jadis des enfans jetés dans un désert loin du sein de leur mère. ― Ils ont été mille