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maintenant, comme je le suppose Hypérion est le pseudonyme de Hœlderlin, on comprendra la triste position de ce poète ; car, ne trouvant pas le beau comme il l’entendait, il ne pouvait lui rester que les ténèbres, le désespoir et le néant, c’est-à-dire, plus qu’il n’en faut pour perdre la raison.

Je termine cet article par quelques lettres tirées de l’ouvrage dont on vient de lire une analyse rapide. Ce ne sont pas les plus belles sous le rapport du mérite littéraire ; mais elles ont un intérêt que je laisse à deviner, et qui fera dire à plus d’un lecteur : Et moi aussi, ne suis-je donc pas Hypérion !…


HYPÉRION À DIOTIMA

La guerre s’allume. Les Turcs sont assiégés dans Coron et Modon, et nous remontons le Péloponèse avec nos montagnards.

J’ai banni la mélancolie ; mon esprit est moins indécis depuis que je mène une vie plus active et que je suis soumis à une certaine discipline.

Je me lève avec le soleil et réveille mes guerriers, couchés sous l’ombrage de la forêt. Ils ouvrent des yeux où brille un plaisir sauvage, et je réponds à leur salut. Rien n’est comparable au réveil d’une armée ! le tumulte des villes et des campagnes n’est que bourdonnement d’abeilles à côté de cette agitation continuelle.

Oui, l’homme fut jadis heureux comme le cerf des bois ; et maintenant encore nous regrettons les jours du monde primitif, où chacun parcourait la terre comme un Dieu, où nul ne connaissait ce sentiment étrange qui modifie sa nature ; où des murs immobiles n’empêchaient pas encore de respirer le souffle de l’ame de la nature.

Ô Diotima ! je ne saurais exprimer ce que j’éprouve au milieu de ce peuple insouciant qui surgit, pour ainsi dire,