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INTRODUCTION

les passions de l’esprit et du cœur, aux yeux d’une intelligence étrangère, ressembleraient à des querelles de clocher ; mais dans leurs œuvres, les hommes dont je parle sont sortis du petit village des passions, et ils ont dit des choses qui peuvent intéresser ceux qui ne sont pas de la paroisse terrestre. Il ne faut pas que notre humanité s’agite exclusivement au fond de soi comme un troupeau de taupes. Il importe qu’elle vive comme si un jour elle devait rendre compte de sa vie à des frères aînés. L’esprit replié sur lui-même n’est qu’une célébrité locale qui fait sourire le voyageur. Il y a autre chose que l’esprit, et ce n’est pas l’esprit qui nous allie à l’univers. Il est temps qu’on ne le confonde plus avec l’âme. Il ne s’agit pas de ce qui se passe entre nous, mais de ce qui a lieu en nous, au-dessus des passions de la raison. Si je n’offre à l’intelligence étrangère que La Rochefoucauld, Lichtenberg, Meredith ou Stendhal, elle me regardera comme je regarde, au fond d’une ville morte, le bourgeois sans espoir qui me parle de sa rue, de son mariage ou de son industrie. Quel ange demandera à Titus pourquoi il n’a pas épousé Bérénice et pourquoi Andromaque s’est promise à Pyrrhus ? Que représente Bérénice, si je la compare à ce qu’il y a d’invisible dans la mendiante qui m’arrête ou la prostituée qui me fait signe ?