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deux phénomènes devient positivement grotesque. Le combat entre deux individus (le lion et, le taureau, par exemple) reste dans le domaine de la zoologie ; le combat entre les Japonais et les Russes rentre dans le domaine social, qui suppose un ensemble énorme de faits psychologiques, économiques, politiques et intellectuels ; ensemble si complexe et si varié qu’il constitue pour ainsi dire tout un monde. Alors, comment oser affirmer qu’une résultante, issue d’un combat zoologique entre deux individus, se retrouvent, exactement semblable, dans un combat entre deux grandes collectivités nationales, telles que le Japon et la Russie ? Il y a là, comme je l’ai dit, un saut prodigieux, qui n’est justifié par aucune logique.

Pour faire un raisonnement exact, Spencer n’aurait pas dû comparer les luttes des sociétés humaines aux luttes des individus animaux, mais aux luttes des collectivités animales. Les animaux, ayant des facultés mentales inférieures à celles de l’homme, n’ont pas su créer des associations toutes les fois que cela leur était avantageux. Néanmoins, les animaux ont créé de nombreuses associations. Dans l’immense majorité des cas, les collectivités de même espèce ne s’exterminent pas. Il y a d’abord les troupeaux d’herbivores. Comme il leur serait impossible de manger les individus des autres troupeaux, l’extermination des semblables ne serait d’aucun profit. Aussi ne se pratique-t-elle jamais. Mais les herbivores et les fructivores pourraient se combattre, non pas par absorption[1], mais par élimination. Un troupeau pourrait en attaquer un autre pour lui ravir des pâturages abondants. Cependant, nous n’observons pas de combats de ce genre parmi les herbivores[2]. De même, nous n’observons pas souvent dans la nature des combats entre collectivités de carni-

  1. Forme de la lutte où le vainqueur mange le vaincu.
  2. La raison en est très simple. Les herbivores n’ont généralement pas assez d’intelligence pour comprendre qu’il y aurait avantage à s’emparer d’un champ contenant de l’herbe plus abondante.