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et l’agneau)[1]. Au contraire, dès qu’il s’agit de l’espèce humaine, on se la représente uniquement comme une extermination entre semblables. « Dans les pays civilisés, l’homme n’a plus d’ennemis à craindre, dit M. Vacher de Lapouge[2] ; les animaux redoutables sont détruits, il n’a pas à s’occuper de la recherche des vivres, il les trouve chez le marchand[3]. La lutte pour l’existence n’est plus qu’avec son semblable, homo homini lupus. Elle ne s’exerce que par des actes sociaux. Pour avoir changé de mode et de nom, elle n’en est pas moins âpre et meurtrière. » D’où vient cette singulière contradiction ? Pourquoi la lutte zoologique nous semble-t-elle devoir se livrer uniquement entre dissemblables, et la lutte sociale uniquement entre semblables ? Cette contradiction vient d’un certain nombre de faits psychiques qu’il faut analyser rapidement.

Chez les singes anthropomorphes, il n’y a rien qui ressemble à nos guerres de conquêtes et à notre paix armée. Justement parce que les singes, ayant une intelligence très médiocre, n’ont pas pu se donner des organisations aussi vastes et aussi parfaites que les nôtres. L’association des singes n’a pas dépassé la phase purement rudimentaire de la bande errante. L’association humaine est parvenue à la phase de l’état, de la nationalité, et même du groupe de civilisation. C’est donc par suite de l’intelligence supérieure de l’homme que les conquêtes et la paix armée sont devenues possibles. C’est par suite de cette intelli-

  1. Sauf dans certains cas d’élimination, dont il sera question au chapitre suivant. Voir p. 63.
  2. Les sélections sociales. Paris, Fontemoing, 1896, p.199. M. de Lapouge a la vue bien courte ! Les microbes de la tuberculose, les bacilles du choléra, le phylloxéra ne sont-ils pas des ennemis que l’homme peut craindre parfaitement, même en pays civilisés ?
  3. Voilà une affirmation pour le moins encore plus singulière que la précédente. Sans doute l’homme trouve les vivres chez le marchand, mais à condition d’avoir à donner quelque chose en échange au marchand. Cette nécessité crée pour l’homme un souci constant, dont il ne peut, jamais se débarrasser. Comment M. de Lapouge ne voit-il pas un fait si simple, passé même en dicton : « la préoccupation du pain quotidien » ?