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sonnes achèteront des instruments de travail, ensemenceront des champs restés en friche, bref accroîtront la prospérité du pays. Car faire valoir des capitaus signifie les appliquer à une production quelconque. Enfin le Chinois peut mettre ses économies dans un bas de laine, comme faisaient autrefois les paysans européens. Mais il viendra forcément un jour où son fils ou son petit-fils les retireront du bas, les uns pour augmenter leurs jouissances actuelles, les autres pour les faire valoir. Ces capitaus rentreront alors dans la circulation. Il n’y aura de perdues que les monnaies enfouies dans le sol et oubliées. Mais ce cas est bien rare ; les chercheurs de trésors en sont généralement pour leur peine.

Peu importe l’endroit où le Chinois consomme ses économies ; que ce soit l’Amérique ou le Céleste-Empire, ces capitaus rentrent dans la circulation universelle et produisent leur effet indirect dans le pays dont ils sont sortis.

Il ne faut pas oublier de plus que, si l’ouvrier hindou reçoit un salaire inférieur, il produit aussi un travail inférieur. « On estime qu’une même filature de 30,000 broches exigerait 750 ouvriers à Bombay et seulement 120 dans le Lancashire »[1]. Quelques industriels anglais font venir des ouvriers américains. Ils les payent plus cher, mais, comme ils font de la meilleure besogne, les produits reviennent à meilleur marché. Ce fait est habituel dans l’industrie moderne. Aux Indes même, quand les ouvriers deviennent plus habiles, ils reçoivent des salaires supérieurs, allant jusqu’à 2 francs et 2 fr. 40. On le voit, c’est dix fois plus que les fameux cinq sous.

De nos jours, dans l’industrie, on essaie, dès que c’est possible, de substituer le travail à la tâche au travail à la journée. Cela étant, des Hindous et des Chinois peuvent gagner des journées supérieures à celle de l’Européen en travaillant avec plus d’application. Or, à partir du moment où les Asiatiques gagneront plus que les Européens, comment pourra-t-on affirmer que les jaunes écraseront les blancs par les bas salaires ?

Mais il y a une dernière considération supérieure à toutes les autres. Tous les jours le prix des produits dépend de plus en plus des perfectionnements de l’outillage et de moins en moins du taux des salaires.

Un exemple bien souvent cité. Avec un métier circulaire une ouvrière peut faire 480,000 mailles par minute. À la main, la plus habile n’en peut faire que 80. Supposons que l’ouvrière, maniant ce métier, reçoit

  1. Revue des Deux-Mondes du 15 avril 1895, p. 120.