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loin où l’émigration asiatique égalera et dépassera l’émigration européenne. Tout montre que la mobilité de l’homme ira en augmentant. Quand les entraves politiques seront supprimées, une différence de 20 à 30 pour 100 dans les taus des salaires produira des invasions de travailleurs, comme la même différence produit aujourd’hui une invasion de marchandises. Nous marchons vers l’équilibre économique. C’est inéluctable, parce que conforme aux lois de la nature. La différence, existant aujourd’hui entre les salaires de l’Asie et ceux de l’Europe, ne sera pas éternelle. Un jour viendra où l’Asiatique aura le même salaire que l’Européen. Par conséquent l’écrasement de l’Européen par les bas salaires de l’Asiatique deviendra alors impossible. Admettons cependant les données des pessimistes. Supposons que les salaires des Asiatiques seront toujours[1] plus bas que ceux des Européens ; quel mal cela pourra-t-il faire à ces derniers ? Les bas salaires produisent, en définitive, le même résultat que les machines plus perfectionnées. Une broche fait 10,000 tours à la minute : elle donne un kilo de fil à l’heure, par hypothèse : on invente une nouvelle disposition, grâce à laquelle la broche fait 20,000 tours et 2 kilos à l’heure, personne n’y voit de mal. Au contraire, on comprend que la félicité humaine est en raison directe de la productivité de machines. Or si un Chinois demande 5 fr. pour labourer un hectare, quand un Européen en demande 10, cela équivaut, au point de vue des fénomènes économiques, à la découverte d’une charrue à vapeur nouvelle, travaillant deux fois plus vite que l’ancienne. Le perfectionnement de l’outillage étant considéré comme un bien, parce qu’il produit le bon marché, pourquoi le bas salaire des Chinois, amenant le même résultat, peut-il être considéré comme un mal ? Mais on dit que le Chinois évince l’ouvrier européen. La machine n’a-t-elle pas le même résultat ? Or l’expérience des nations industrielles montre d’une façon irréfutable que leur prospérité est en raison directe du perfectionnement de l’outillage, donc le bon marché du salaire asiatique, ayant le même résultat, est aussi un bien et non un mal. En dernière analyse, le bon marché du salaire asiatique a pour résultat une diminution du prix des produits. Or tous les hommes, dans la pratique journalière, affirment à l’unisson que le bon marché est un bien et la cherté un mal. Les doctrinaires et les pessimistes seuls ne sont pas de cet avis.

  1. Le lecteur sent sans doute combien ce mot sonne faus. Il n’y a rien d’éternel dans la nature.