Page:Nuitter, Les Bavards.djvu/20

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homme qu’elle a blessé ; si c’est pour vous un divertissement, je viens me mettre à votre disposition et je vous demanderai pour cela cinquante ducats de moins que l’autre.

Sarmiento.

Parlez-vous sérieusement ? Croyez-vous qu’on fasse une telle blessure à quelqu’un, sans qu’il le mérite ?

Roland.

Et qui le mérite plus que la pauvreté ? quel sujet est plus digne d’exciter la haine et la colère ? N’est-ce pas la pauvreté qui est cause des délits et des crimes, larcins, filouteries, abus de confiance, escroqueries, vols, meurtres, assassinats ? — N’est-ce pas la pauvreté qui est cause du travail, cette plaie de la vie humaine… n’est-ce pas elle qui force les hommes à être douaniers, menuisiers, voituriers, charpentiers, chaudronniers, meuniers…

Sarmiento.

Holà ! holà !… comment, ce n’est pas assez de ma femme !… Par le diable ! qui m’a envoyé cet homme, après avoir payé deux cents ducats à ce bavard d’alcade, pour cette balafre ?…

Roland.

Balafre, avez-vous dit ; c’est ce que donna Caïn à son frère Abel, quoiqu’à cette époque on ne connût pas les épées. Remarquez, en passant, que les blessures se font de deux manières, par trahison et par jalousie. La trahison est un crime contre le roi ; la jalousie, contre les égaux. On fait des blessures avec des dagues, des hallebardes, flèches, pistolets, arquebuses…

Sarmiento.

Que voulez-vous, enfin ?

Roland.

Seigneur, je vous l’ai dit, je suis pauvre, et si vous voulez prendre la peine de compter tous les pauvres célèbres, depuis Job… qui…

Sarmiento.

Non, ne les comptons pas !…