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ROMANS D’ANALYSE

gueule ne (lui) revient pas » ; cependant, même s’il doit admettre que c’est pour cette raison qu’il lui refuse son augmentation, il demeure que Sirois n’a aucun droit strict à cette augmentation, donc aucune injustice à son égard. Il aurait tort de céder à la sensibilité ; il n’a rien à se reprocher : il va même à la messe avec son gros paroissien à tranches rouges, il fait l’aumône… Alors ? Au diable ce Sirois qui vient troubler sa douce quiétude.

Poirier est un des portraits, dans sa brièveté, les mieux réussis qui soit du Tartuffe moderne. Giroux, en quelques traits, peint avec une assurance de grand maître le type même du pharisien de l’Évangile, aussi vivant, mais infiniment plus répandu qu’il y a vingt siècles. Apparemment épisodique, ce Poirier, que Giroux ne met en scène qu’à intervalles espacés, est continuellement présent dans l’âme de Sirois, jusqu’à son agonie. Il demeure sa terreur jusqu’à la fin ; même après sa mort, il sera là pour le coup de pied de l’âne ; il manifestera son odieuse médiocrité, son inconscience criminelle, quand il ordonnera à son messager d’aller aux funérailles de Sirois à sa place et « surtout de ne pas oublier de donner son nom au reporter ». Par ce seul trait sur lequel il termine son roman, Giroux fait tout entier le procès