Page:O'Leary - Le roman canadien-français, 1954.djvu/21

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
19
ESQUISSE HISTORIQUE

chez nous : nos tribuns, nos polémistes de la fin du xviiie et des débuts du xixe siècles ne connurent pas cette éloquence à l’emporte-pièce d’un Mirabeau, d’un Saint-Just, d’un Danton, d’un Robespierre ; la littérature d’un Marat de « L’Ami du peuple » et, en général, des pamphlétaires de 1793-94 ne leur parvint pas ; les idées nouvelles étaient tabou et à peine soupçonnée leur forme d’expression parlée ou écrite ; de la prose, celle d’un Chateaubriand fut une des seules à trouver grâce au début du xixe siècle et son style grandiloquent, quelque peu pompeux, exerça une influence qui fut loin d’être toujours bienfaisante, à cause d’une certaine prédisposition à l’emphase qui caractérisait les Canadiens d’alors.

Or, en dépit de tout cela, en dépit d’une coupure avec l’extérieur qui, à toutes fins pratiques, aurait dû condamner notre langue à demeurer figée au français d’Ancien Régime, plusieurs de nos polémistes et pamphlétaires atteignaient, dès 1795, une forme excellente, qui a pu paraître naturelle à leurs contemporains, mais qui étonne aujourd’hui celui qui s’arrête à étudier les conditions de développements de nos lettres à cette époque. La fin du xviiie siècle produit déjà au Canada une éloquence toute française et le journalisme révèle d’authentiques polémistes du meilleur cru.