Page:O’Neddy - Œuvres en prose, 1878.djvu/21

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Et, à l’appui d’une injonction si malévole, un maître pistolet, presqu’aussi long qu’une coulevrine, montre l’œil de son canon ténébreux et sinistre comme l’œil de la camarde.

Le pauvre colonel ne comprend pas.... Il demeure hébété, stupide.... Il est changé en pierre.

L’inconnu se voit obligé de répéter avec plus de violence :

— M’entendez-vous ? je veux la bourse entière !

Le comte ne manquait pas absolument de courage ; du moins il se montrait ordinairement fort jaloux de passer pour en avoir ; mais en cette occurrence il réfléchit que, n’ayant pas de pistolets, ce serait à lui démence d’essayer de lutter contre un adversaire qui n’avait qu’à presser la détente de son arme pour l’étendre mort à ses pieds, et qui semblait si peu éloigné d’en venir à des extrémités aussi fâcheuses..... Il donna la bourse.

— Bien ! dit l’inconnu. À présent, rendez-moi votre épée !…

Le malheureux officier sentit le feu de la honte lui envahir les joues. Il se rejeta en arrière dans le valeureux dessein de défendre par elle-même cette épée sur le chaste honneur de laquelle on voulait exercer l’ignominie d’un rapt.

L’étranger rit et arma son pistolet.

Le cliquetis de la batterie glaça le colonel jusque dans la base des reins… Ma foi, il rendit son épée !

— Ce n’est pas tout, dit l’autre, il me faut aussi le baudrier.

Il donna aussi le baudrier.

— Maintenant, au revoir, monsieur le comte ! Parmi les aventures extraordinaires de votre vie, vous pourrez citer celle-ci ; il est bouffon d’être volé à la tête de son régiment.

Cela dit, le croquant tourna bride et disparut dans les obliques profondeurs d’un chemin de forêt.

Le gros colonel resta quelques minutes dans une immobilité aussi complète que s’il eût été foudroyé d’apoplexie. Puis, tout son corps soubresauta comme celui d’un homme qui brise les garrots de plomb d’un cauchemar. La première idée qui lui vint fut un atroce appétit de vengeance. Il courut de toute la vélocité de son cheval à la rencontre de ses cavaliers dont on commençait à voir au loin les sabres et les mousquetons reluire. Certain qu’ils n’avaient pu rien apercevoir des choses inouïes qui venaient d’avoir lieu devant