Ici, l’air circule librement, sans cesse renouvelé par d’ingénieux mécanismes d’appel. Et, dans l’épaisseur des murs, des conduits d’eau échauffée par un foyer central électrique distribuent partout une chaleur égale pendant la saison froide ; l’été, les mêmes conduits servent à des irrigations fraîches.
Tel est l’appartement qu’occupe M. Michel Dasnières au 45e étage de la 118e avenue.
Michel, cependant, ne s’est point encore levé. Il parle à sa table de nuit.
« Je voudrais, dit-il, une tasse de cacao synthétique, bien chaud. »
La table s’entr’ouvre, portant jusqu’aux lèvres affamées leur aromal déjeuner. Non qu’elle soit une table tournante habitée par un esprit. Elle est simplement pourvue d’un microphone par le moyen duquel Michel exprime ses désirs aux fonctionnaires de l’alimentation parisienne dont les bureaux occupent le rez-de-chaussée de toutes les maisons de quelque importance.
Michel, tout en absorbant avec appétit un cacao obtenu par la chimie, « écoute » les journaux du matin. Toute maison « pourvue du confort moderne » communique avec un centre d’informations qui lui donne à toute heure les nouvelles du monde entier. M. Dasnières n’a eu que la peine de glisser, dans l’ouverture d’un compteur, une petite pièce de monnaie, et tout aussitôt une bouche de cuivre se démasque clamant d’une voix sonore les dépêches de la nuit, les faits divers, des renseignements politiques et commerciaux, des articles scientifiques, des feuilletons littéraires, des morceaux de critique… Quand M. Dasnières se juge insuffisamment intéressé, il presse un bouton électrique et la voix parle d’autre chose… Et cela, jusqu’à ce que sa toilette soit faite, et son journal lu, si l’on peut dire. vêtu d’une ample tunique à la grecque qui modèle son anatomie forte et juvénile et qui rend ses mouvements aisés. Il achève de se faire polir la chaussure par une cireuse mécanique, mue par l’électricité.
Quel véhicule prendra-t-il pour aller à ses affaires ? Le chemin de fer qui parcourt le sous-sol de toutes les rues ? Le trottoir roulant, propice aux rencontres, tout au long des devantures des magasins ? Franchira-t-il à pied les innombrables ponts qui relient à toutes les hauteurs les édifices de la cité, comme des îles ?
Il se décidera plutôt pour un aéro-taxi. Nous le suivrons dans l’ascenseur qui le dépose sur la terrasse de sa demeure, sous le ciel obscurci de grandes ailes, assourdi par les sirènes des aérobus.
Le firmament ressemble à la rade d’un port immense où s’entre-croisent des nuées d’embarcations. Les aérocabs, avec leurs capotes cirées, bourdonnent comme de gros coléoptères. Dans un remous, le ventripotent aérobus Charenton-Mont-Valérien passe comme un éclair. Comme il est à peine huit heures, on voit peu d’équipages de maîtres, avec de solennels mécaniciens en livrée, les mains gantées sur le volant ; mais beaucoup de petits employés, montés sur leurs bécanes, des blériots ancien modèle, achetés d’occasion, se hâtent vers la besogne matinale. On se montre en riant, sur un biplan de forme archaïque, ressemblant vaguement à une armoire qui volerait, un homme-sandwich cul-de-jatte qui jette des prospectus en se faufilant dans la cohue avec l’adresse proverbiale des camelots de Paris.
On n’a pas abandonné l’usage des ballons, ces encombrantes vessies gonflées de gaz inflammables, jouets dangereux à l’aide