siècles et appauvri notre planète. On eut plus tôt fait, à l’aide de réactifs, de créer sur la Lune même une révolution chimique et d’y dégager l’oxygène de ses combinaisons minérales.
Après maints voyages et maints efforts, une légère couche d’air respirable se répandit dans les lieux les plus bas, au ras du sol. Si minime qu’elle fût, elle suffisait à la végétation d’humbles plantes, des mousses, des fougères, et à la production, par chimie naturelle, de quelques vapeurs. On transporta des semences qui poussèrent. Dès lors l’astre mort était ressuscité ; son atmosphère poursuivait seule son développement, par le fait de la respiration diurne des plantes.
Peu à peu les habitants de la Terre s’aperçurent de changements dans l’aspect du satellite que couvraient maintenant de minces flocons nuageux, et dont la lumière se dégradait en d’exquises nuances crépusculaires. On pouvait y vivre. Des végétaux supérieurs y croissaient, la corruption des herbes y déposait de l’humus. On y conduisit de petits animaux, puis toute une arche de Noé : cette faune contribuera, par l’apport de matières organiques, à rendre, pour des temps postérieurs, la Lune habitable à l’homme, et à en faire une réserve d’énergies vivantes.
Les choses en sont là, à l’époque où vit M. Dasnières, et si l’homme n’a pas pris encore effectivement possession de sa colonie, il y fait de fréquentes incursions et s’accoutume à son climat assez rigoureux. Les espèces animales disparues de la Terre, sauf des jardins zoologiques, s’y développent en liberté et s’y transforment naturellement pour s’adapter aux conditions nouvelles de leur existence.
Aucun obstacle, puisque celui du vide est franchi, ne peut plus entraver l’expansion sélénienne de l’humanité. Restent encore le temps et la distance, bien peu de chose !
Quand M. Michel Asnières sort du Muséum, il peut être 3 heures. Il est frappé de la physionomie inaccoutumée que présentent les rues. Les trottoirs roulants passent à vide, la circulation des voitures est interrompue. Une foule compacte et immobile occupe toute la largeur de la chaussée, des milliers de nez sont levés vers le ciel, tous les regards fixés sur un rectangle de toile blanche tendu devant une fenêtre.
Soudain, des coulées d’encre glissent sur la blancheur de la toile, y tracent des lettres, et nous lisons :
3 heures. — En vérifiant tes comptes d’un nommé Lafuite, caissier à la Banque de Béarn, en congé régulier, on vient de constater trois millions de détournements. On transmet en ce moment à tous les points du monde par téléphotographie sans fil, la fiche anthropométrique de l’escroc qu’on sait, de source certaine, absent de Paris.
Et, tout aussitôt, l’écran, se roulant comme un store, laisse voir dans l’embrasure de la fenêtre une immense photographie du caissier infidèle qu’on accueille par des huées énergiques.
Je songe avec stupeur qu’en cet instant, les mêmes traits, multipliés à l’infini, s’impriment sur des millions de plaques sensibles, sont reproduits dans les villes et dans les plus infimes bourgades où le hasard a jeté des semences d’humanité, depuis les froides demeures des Esquimaux jusqu’à celles des Fuégiens, depuis les terres isolées au milieu des océans jusqu’aux hauts plateaux de l’Asie. Je songe qu’ils apparaissent dans les postes récepteurs des paquebots, des chemins de fer qui vont sous terre et des aéronefs qui se perdent dans les nuages ; qu’ils pénètrent jusque dans les abîmes sous-marins où l’homme