Un périscope, au centre de la table, réfléchit dans les sous-sol l’image du mangeur et, lorsqu’il a repoussé son assiette, il n’a pas un geste à faire : assiette, plat, couvert se sont abîmés soudain et le monte-charge élève à leur place le second service, un fort consistant bifteck synthétique.
Son repas n’a coûté que quelque menue monnaie. Point n’est besoin de garçon pour l’encaisser. Le tarif est fixe. En sortant, on glisse son dû dans un appareil annexé à la porte, qui est hermétiquement close aux convives de l’intérieur, et qui ne s’ouvre qu’après paiement, — d’elle-même.
Généralement, M. Dasnières emploie son après-midi à s’instruire. Il fréquente volontiers le Muséum, où sont conservés, derrière des grilles, des spécimens d’animaux disparus : des chevaux, des chiens, des chats, des moutons. Michel est avide de connaître les mœurs et les formes de ces êtres qui longtemps furent sur la terre les compagnons de l’homme.
En effet, par suite des progrès de la mécanique et de la chimie, l’homme n’a bientôt plus eu besoin des animaux. Il a tué les uns, négligé de favoriser la multiplication des autres. Ils ont disparu. Le sifflement des machines et le ronronnement des moteurs ont remplacé le chant des oiseaux et le bruissement des insectes. Les forêts sont désertes et les campagnes sans meuglements. L’effet est fort curieux.
Pénétrant dans la grande salle du Muséum, M. Dasnières y assiste à la leçon inaugurale d’un cours consacré à retracer l’histoire de la conquête de la Lune. C’est en l’an 1950 qu’un nouveau Christophe Colomb, dès longtemps annoncé par les conteurs de fables, aborda dans notre satellite. Un Français seul pouvait avoir cette audace. Un véhicule fut construit, mû par cette force éthérique qui échappe à l’attraction, et grâce à elle se soutenant dans les espaces interplanétaires. L’appareil, fermé, contenait une abondante provision d’oxygène à l’état solide, dont il suffisait de faire fondre une parcelle pour alimenter pendant plusieurs jours les poumons du courageux aventurier.
Après six mois d’angoisse mêlée d’espoir, cette moderne caravelle débarqua son habitant sur le sol sélénien, au fond de l’aride excavation que les astronomes avaient appelée la Mer de la Sérénité. L’homme, revêtu d’un scaphandre, fit quelques pas hors de son véhicule, le temps de promener son regard sur un grand cirque éblouissant de lumière crue, tout hérissé d’arêtes dures et d’efflorescences minérales. Il constata que ce monde mort était complètement inhabitable. À travers l’enveloppe hermétique qui le couvrait, il sentit un froid glacial, ses membres douloureux se gonflèrent, la mort le guettait. Précipitamment il reprit le chemin de la Terre. Par mauvaise fortune, la plus grande partie de l’oxygène emmagasiné avait trouvé une issue et s’était répandu sur la surface de la Lune, en sorte qu’il dut, au retour, se rationner l’air, comme les marins autrefois se rationnaient d’eau, et qu’il arriva dans sa patrie terrestre à demi asphyxié, un an environ après en être parti.
Mais la voie était ouverte. Des foules se risquèrent à faire l’effrayant voyage ; beaucoup ne revinrent pas.
Des esprits chimériques pensèrent alors, puisque le poids importait peu au véhicule éthéromobile, à transporter dans la Lune des tonnes d’air solidifié qui, retenu par l’attraction de l’astre, lui formerait peu à peu une atmosphère. Un tel travail eût demandé des