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Page:Octave-beliard-la-vie-d-un-parisien-au-21e-siecle-1910.djvu/9

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Lectures pour Tous

voyage et travaille ; qu’il n’y a pas peut-être un seul être humain, à l’heure qu’il est, à ne pas les connaître ! Ah ! le métier de voleur devient bien difficile !

Par toute la ville, des groupes stationnent et discutent. Sur tout le parcours de notre promenade, la nouvelle est affichée. Place du Châtelet, nous lisons une nouvelle et décevante dépêche :

3 heures 1/4. — On signale qu’une voiture éthéromobile a disparu depuis douze jours d’un garage de la rive gauche. On accuse Lafuite de s’en être emparé nuitamment pour se soustraire aux recherches en se réfugiant sur le sol sélénien. S’il a fait ainsi un « trou dans la Lune», il faudra perdre l’espoir de le retrouver. Nous ne possédons encore, grâce à l’incurie gouvernementale, aucun moyen d’appréhender un homme perdu sur la surface immense et sauvage de notre satellite…

C’est vrai, nous n’y pensions pas ! Au xxie siècle, la Lune, c’est la Belgique des fugitifs, à 384 000 kilomètres de la Terre, c’est-à-dire à cinq mois de voyage, au bas mot. Le coupable a douze jours d’avance et, au bout du chemin, tout un monde pour s’y cacher, un monde pourvu de chair et de végétaux où il pourra attendre en paix qu’on l’oublie !


LA POLICE MET TOUTES AILES DEHORS

À cette désesperante supposition, la foule se dépite, puis, se ravisant, avec l’exquise instabilité qui la caractérise, montre sans transition quelque admiration pour cet héroïsme de mauvais aloi. On veut avoir plus de détails. Le métropolitain est envahi ; les trottoirs sont noirs de monde, on les accuse de trop de lenteur et l’on y court pour gagner du temps. Le flot nous traîne aux boulevards et assiège les journaux. Devant l’un d’eux, le Courrier de l’Heure, plus de trente mille oisifs sont assemblés. Jadis une telle affluence n’eût été possible qu’en cas d’insurrection populaire ou d’élections législatives ; mais maintenant, à cette heure du jour, personne ne travaille plus dans la grande ville et tous les jours sont des dimanches.

Sur la façade du journal, un gigantesque porte-voix hurle les dépêches reçues du monde entier. Des loustics montrent le poing à Phébé qui paraît entre les nuées comme une blanche pastille de menthe anglaise. Des bruits contradictoires circulent.

À 4 h. 3/4, tout ce peuple pousse un cri de satisfaction. La disparition de la voiture éthéromobile a été expliquée : elle porte une commission de trois membres de l’Institut, chargés d’observer un phénomène météorologique. Lafuite est encore sur la planète.

À 5 h. 1/2, on télégraphie de Porto-Novo qu’un individu répondant au signalement de Lafuite et voyageant seul en aéroplane est descendu dans la ville, il y a six jours, pour faire de l’essence et prendre de la nourriture. Il est ensuite reparti à une vitesse qu’on évalue, au moins, à 150 kilomètres à l’heure.

Enfin à 6 h. 5, un dernier et tonitruant télégramme est clamé par la bouche de cuivre. Lafuite vient d’être surpris dans un café de Buénos-Ayres et identifié malgré la précaution qu’il avait prise de raser sa barbe et de cacher ses yeux sous des lunettes noires.

Le misérable avait pu fuir des jours et des jours avant qu’on le soupçonnât, utiliser des vitesses qu’en plein xxe siècle nous déclarions improbables… Pourtant, entre la découverte du crime, à Paris, et l’arrestation du criminel dans la capitale de l’Argentine, il ne s’est écoulé en tout que trois heures !