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La Journée d’un Parisien au XXIe Siècle

MODERN VILLÉGIATURE.

Le soir tombe sur l’agitation de la grande ville, ou plutôt, c’est une façon de parler, car il n’y a plus de nuit que dans les maisons où l’on dort. Quand le soleil se couche, il se lève des myriades de lunes électriques qui font un jour artificiel aussi intense que l’autre, un jour terrestre dont le rayonnement monte dans le ciel et fait pâlir les astres. C’est l’heure des promenades vespérales. Les bourgeois parisiens, montés sur de prestes avions, font « prendre le frais » à leur famille au-dessus des bois de Viroflay et de la forêt de Sénart, devenus des parcs urbains pleins de foules et de musiques.

Car Paris — qui jadis était la minuscule cité limitée à Neuilly et à Vincennes — a dévoré ses banlieues, puis la moitié des départements circonvoisins. Ce n’est plus, à proprement parler, une cité, c’est une région urbaine. Autour du noyau monstrueux, qui est le centre des affaires et des plaisirs, qu’on n’habite guère, hors des heures de travail, que quand on y est retenu par ses fonctions, s’étend au loin la ville-jardin chantée d’avance par les hygiénistes. C’est là que demeure, dans la verdure des parcs, le Parisien aisé et père de famille. Chacun veut avoir sa villa coquette. On y est à la campagne, et pourtant en ville, avec tous les avantages de confort qu’apporte la civilisation. Il n’est home si petit qui ne soit relié à l’univers par le téléphone, le télégraphe et même le téléphote, naturellement sans fil. Les trottoirs roulants, les chemins de fer souterrains y conduisent. L’électricité chauffe et éclaire ces aimables cottages, pourvus, du reste, de tous les appareils automatiques qui dispensent l’homme d’efforts.

Michel en vrai célibataire, accepte volontiers de dîner en famille chez les amis qui ont une maison. Il va ce soir recevoir l’accueil cordial d’un vieux M. Desbly qui lui porte intérêt. M. Desbly est veuf, et cultive ses lauriers-roses au bas des coteaux de Sèvres, entre sa mère centenaire et une fille charmante.

À peine Michel est-il arrivé que, s’autorisant de son appétit, Mlle Desbly, de ses doigts graciles, fait les apprêts du repas. Car ni là ni ailleurs, fût-ce chez les princes de la finance, il n’y a de domestiques.

La fée électricité a réduit la manutention culinaire à une série de jolis gestes assez semblables à ceux des dactylographes et des pianistes. C’est dans la salle à manger, sur la table même, qu’on prépare les mets, à l’aide d’appareils de précision étincelants comme une bijouterie de nickel et de cuivre. Ni fumée ni désagréables odeurs. Les mets sont délicats comme des pâtisseries, et le goût de la cuisinière improvisée les rend meilleurs, en élevant la gastronomie au rang des beaux-arts de la famille, entre la musique, l’aquarelle et la broderie.


LA DISTANCE N’EXISTE PLUS.

Pendant le dîner, Michel s’enquiert près de la jeune fille de son prochain mariage. Elle est fiancée à un ingénieur qui exploite en ce moment les mines d’étain du Haut-Laos, et supporte sans trop de peine la séparation. Le fiancé n’est-il pas toujours présent à son ouïe et à ses yeux ! Sans quitter la tapisserie qu’elle ourdit patiemment au long des jours, elle lui parle près d’une table vibrante et les ondes de l’air lui apportent, à travers l’espace, les réponses de l’absent. Et même un miroir magique, fixé au mur, en face de l’enfant laborieuse, lui révèle les traits de l’ingénieur qui lui sourit de tout là-bas, du fond de la brousse. C’est le merveilleux téléphote captant, pour l’expédier à distance, le reflet même des personnes vi-