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Page:Octave Béliard Les Petits Hommes de la pinède, 1927.djvu/113

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l’association médicale

LES PETITS HOMMES DE LA PINÈDE

Par le Dr Octave BÉLIARD
(Suite et fin)[1]

Désormais, seul veilleur au seuil du monde, j’appelais la Flamme, j’avais l’obsession de la Flamme. Les Petits Hommes ne passeraient pas le Mur interdit ; leur marée ne déferlerait pas sur la terre. La menace de l’Ancien des Jours s’accomplirait.

Le Mur était haut et leur sommeil lourd. Le monstre aux millions de têtes rêvait d’escalade. Il n’aurait pas le temps de construire des échelles. La Flamme court plus vite… Elle devance l’aube… Elle décrit autour de la Pinède les anneaux d’un rouge serpent… Et je suis Celui-qui-lance-la-Flamme !

Souffle, tempête ! fouaille le galop du Feu sur la sécheresse de la terre ! Entre les roides murailles, qu’il consume toute âme vivante !

Je vis, au dehors, l’opacité de la nuit sans étoile. Les grands vents qui tourbillonnent ajoutent par leur musique à l’enchantement des sommeils tapis. Ah ! qu’ils dormaient bien, ces gnomes, confiants dans mon agonie, dans mes liens, dans la vigilance du guetteur ! La tempête emplissait leurs oreilles comme la mer emplit les coquilles sourdes.

Vite ! vite ! Il y a dans le temple un fagot de cierges de résine et l’oribus pétille encore. Il y a les légères voliges du toit qu’on arrache à la main, les escabelles, la porte qu’on descelle. J’ai déposé sur ce bûcher le cher cadavre et la flamme monte avec l’acre fumée. Aux cheveux de Vana qui s’embrasent j’allume un brandon et c’est le feu de cette chevelure qui va manger la forêt.

Hop ! fuyons… le vent tord sur l’Île sacrée l’incendie du temple, les fléchettes du feu pleuvent sur la ville. Il y a comme un éveil de rats surpris qui grillent déjà…

J’ai passé la rivière ; j’avais de l’eau jusqu’aux genoux… J’ai agité ma torche sur la Ville et je cours. On ne me poursuit pas. Est-ce qu’on pense à cela, dans la fumée, dans la nuit rouge ? J’ai derrière moi le tumulte et le rire des flammes, le grand frisson de liberté du Feu ; j’ai devant moi le sommeil des hommes, les halliers, les futaies. Partout où j’ai passé, on s’éveille pour être fou, pour crier et mourir. J’allume les meules au long des fermes minuscules ; j’allume les buissons ; je suspends aux branches des pins des lampions qui crépitent. Des serpents ardents sinuent dans l’herbe sèche des clairières, les arbres sont escaladés jusqu’aux cimes par de rouges follets et se fendent avec

  1. Voir l’Association Médicale, nos 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, année 1927 et nos 1, 2, 3, 4, 5 et 6, année 1928.