Page:Octave Béliard Les Petits Hommes de la pinède, 1927.djvu/116

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violabilité duquel ils s’écrasent et s’entr’égorgent.

C’est atroce… Je ne veux pas voir… Je ne veux pas entendre… Qu’on les tue, pour Dieu, qu’on les tue !

Je descends de la tour, la gorge pleine de cris. Je suis fou ! Une rage d’assassin déguise mon horreur. Il ne meurent pas assez tôt… La fumée ne les étouffera donc pas ? La flamme ne les atteindra donc pas ? Ah ! comme je comprends le meurtrier qui s’acharne, qui hache en petits morceaux sa victime encore palpitante ! On dit que c’est de la cruauté… c’est de la peur, le paroxysme de l’épouvante ! Ces assassinés qui se redressent, qui ne veulent pas mourir, dont les derniers soubresauts accusent et maudissent, qui peut-être trouveront dans leur désespoir la force de survivre, d’échapper !…

Le cheval était au piquet sur la lande, humant l’air avec inquiétude, tirant sa longe. Comment me retrouvai-je sur son dos, agrippé à ses crins, une branche de pin enflammée à la main, avec l’obsession qu’une multitude de spectres allaient se hisser sur la crête du Mur et qu’il fallait, au prix même de la vie, leur barrer le passage.

Et l’aube me surprit encerclant l’enclos incendié d’un galop de cauchemar. La tornade semait la lande de pétales de feu, de branches flambantes. Le cheval affolé, plein de sueur, renâclait, se dérobait, ruait, me secouait, vaincu par la morsure du tison dont je lui grillais les poils. J’aurais dû me tuer mille fois. J’étais en haillons. Je criais rauquement, d’une gorge étranglée : « Brûlez ! brûlez tout !…

On m’a dit que des hommes, des hommes de ma taille, se trouvèrent là pour me maîtriser. Je n’en sais rien. Je ne sais plus rien. Je me souviens seulement que ma tête m’a fait atrocement souffrir. On m’a laissé croire qu’un magistrat interrogea mon délire, instruisit l’affaire. Il a bien fallu que j’eusse perdu la raison pour avoir oublié tout cela. Mais combien de temps ai-je été fou ? Voilà le point délicat. Ceux qui prétendent que je le suis encore sont d’avis que je l’étais depuis longtemps et que mon séjour près du Docteur Dofre — un autre fou sans doute — n’a fait qu’accélérer les progrès d’un trouble mental préexistant.

Oui, ce verdict était inévitable. Il faut que le sens commun se protège. Le sens commun se doit d’accueillir la seule hypothèse plausible de deux maniaques dressant un peuple de sapajous, et même de se refuser systématiquement à l’examen d’un ossuaire fantastique où il était impossible que la carbonisation n’eût épargné quelques calcanéums et quelques astragales. Le sens commun est un édifice dans lequel l’esprit se repose ; une science prudente peut bien y introduire constamment un mobilier nouveau, mais non point en compromettre l’équilibre architectural par une fantaisie téméraire. Qu’il ait existé des Homoncules, c’est là une supposition irrecevable, hors du cadre des notions admises et qui remettrait en question trop de choses définitivement jugées. Pour que cela fût réputé digne de foi, il ne faudrait pas moins que le consentement universel, seule preuve — et encore tellement discutable ! — de l’existence d’un Dieu que personne