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Page:Octave Béliard Les Petits Hommes de la pinède, 1927.djvu/19

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l’association médicale

« Et je parus les abandonner dans la solitude de Pinède.

« Mais en réalité, je surveillai le premier couple de très près, paraissant fréquemment dans le fourré où il avait élu domicile, et le mettant en garde contre les dangers des éléments. Au bout d’un mois, je vis que la femme avait un enfant qu’elle entoura de tendresse et de soins. L’homme, cependant, d’instinct, fit un abri à sa famille en joignant quatre troncs de pins par un toit de ronces, d’herbes et de branches mortes. L’été, très chaud, empêchait qu’ils ne souffrissent de leur nudité. Ils mangèrent des racines sauvages, les mûres des buissons, les amandes des pignons écrasés entre deux pierres. Tout leur temps était donné à l’amour et aux exercices d’agilité, à des jeux puérils qui, à défaut de toute industrie, occupaient leurs muscles électriques, contentaient leur besoin de mouvement. L’activité de cette vie était inouïe. En quelque semaines, le nouveau-né avait appris à marcher, comme les petits des animaux, et franchissait d’un saut les étapes de l’enfance. Et d’autres enfants naissaient à un peu plus d’un mois d’intervalle entre eux. Au cours de la première année je comptai huit naissances. Par la suite, les enfants formèrent de nouveaux couples et témoignèrent d’une fécondité toute pareille. Et à mesure que la première famille devenait tribu, quelque ingéniosité apparaissait, un désir de mieux-être fournissant un but à la vie.

« Les atteintes du froid, alors que les habitants de la Pinède n’étaient encore que cinq ou six, les firent déjà inventer des vêtements, misérables nattes de joncs qu’ils coupèrent, et tressèrent au bord de la petite rivière qui serpente sous bois. L’insuffisante protection de ces hardes primitives les força bientôt à rechercher plus sûr abri. Le pin y fournit, qui fournissait déjà à la nourriture. D’abord ils eurent l’idée d’enduire de résine leurs tuniques de joncs. Plus tard, avec les fibres de l’écorce, ils lièrent ensemble les écailles que leur fournissait le fruit de l’arbre, en les imbriquant les unes sur les autres comme la nature elle-même leur montrait à le faire, et s’en firent des cuirasses que l’enduit résineux rendait imperméables aux intempéries. Des fosses furent creusées dans la molle alluvion qu’ils grattaient avec des pierres pointues. Étayées de baguettes, ces caves furent des habitations presque confortables où ils se tapissaient sur des litières d’herbes séchées, et aussi des magasins pour serrer les vivres recueillis durant la bonne saison.

« Au risque de les perdre, je résolus de ne pa intervenir pour hâter leur progrès, de les observer avec tous les dehors de l’indifférence et de laisser la misère les instruire. Il me semblait — et je ne fus pas trompé — que ces fils des hommes, bien qu’ignorants de leurs origine, dussent retrouver, à la ferveur d’obscures influences ancestrales, toutes les acquisitions de l’humanité. Les embryologistes ne sont pas sans soupçonner, dans les différents stades de développement du germe vivant, la figure des transformations subies par les ancêtres parcourant tous les échelons de l’animalité. Il est indubitable que les hommes eux-mêmes, avant d’atteindre leur forme définitive, passent par une succession de formes à la ressemblance de l’amibe, du zoophyte, du ver et du poisson et refont dans les quelques mois de la vie fœtale l’histoire que leur race a fixée en des millénaires. Obligés de renaître de la substance fondamentale qui se retrouve à l’origine de toute vie, ils s’élancent vers l’humanité, en brûlant les étapes, parce que leurs pères les ont déjà parcourues et qu’ils bénéficient de leurs laborieuses acquisitions. Même lorsque la forme humaine est atteinte, la même loi de récapitulation continue à jouer. Chacun de nous reprend l’histoire de l’homme à son début et la résume en sa vie personnelle, mais avec aisance et rapidité, ainsi que l’inventaire d’un héritage qu’il recueille sans peine, parce que les générations précédentes ont travaillé pour le dispenser d’effort.

« Il ne faut donc pas s’étonner que mes Petits Hommes, guidés par l’atavisme, soient arrivés à m’offrir l’abrégé de plusieurs siècles de l’histoire humaine en cet enclos où je les avais jetés nus. Observer cela fut la récréation de toute mon existence.

« Je vous invite à noter que cette reconstitution historique est très loin d’être fidèle et qu’il fallut prendre son parti d’une foule de variantes. Ainsi, les Petits Hommes, lâchés dans le monde avec une langue toute faite que je leur avais apprises, eurent de ce fait