Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses promenades pour elle ; au point de se rendre complètement esclave des devoirs quelquefois comiques, la plupart du temps inutiles, toujours touchants, qu’il avait joyeusement mais sérieusement assumés envers elle. Et Miche avait mis en Dingo une confiance si absolue qu’elle se laissait sans peur traîner par la queue à travers les chambres, qu’elle se laissait, avec un plaisir un peu pervers, engloutir toute la tête dans cette gueule déjà terrible, mais où les crocs savaient se faire, pour elle, caressants comme des doigts très doux. Jamais je n’ai vu une amitié aussi vigilante, aussi passionnée, entre deux bêtes de races ennemies, d’autant plus passionnée, semble-t-il, que la nature les pousse à se haïr davantage. En les regardant, j’ai mieux compris la force impérieuse et si triste de certaines amours que nous appelons avec légèreté antinaturelles et monstrueuses, comme s’il y avait quelque chose d’antinaturel dans cette nature qui parfois se plaît aux jeux les plus déconcertants, pour mieux affirmer, je suppose, la puissance de son désordre et aussi pour « épater le bourgeois »… Entendez, je vous prie, par bourgeois, ce dieu si imperfectible et si lourdaud, ce dieu d’opérette que nous nous sommes, un beau matin et à notre image, — pauvres inventeurs sans imagination et sans grâce, — inventé.