Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/122

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Il aimait — et par là, mieux que par les commentaires physiologiques des savants, mieux que par la dignité de son affection, je compris que Dingo n’était réellement pas un chien — il aimait les gens mal mis, les pauvres gens. Riches habits, visages florissants de santé mal acquise, gros ventres gonflés de bonheur épais ne l’éblouissaient pas. Ils le laissaient parfaitement indifférent, sinon dédaigneux. Du poète illustre, du glorieux écrivain, de l’artiste à succès il n’avait pas l’âme servile, ni l’échine constamment humiliée devant les grands de ce monde. Est-ce parce qu’il montrait de la générosité d’esprit et paraissait sensible aux belles choses, qu’il se gardait comme d’une vilenie d’admirer l’homme riche, qui en est souvent la négation, qui en est presque toujours la profanation ? Bien que je le croie, je n’irai pas jusqu’à l’affirmer, « On vit toujours, parmi les grands, une merveilleuse émulation de bassesses », écrit Tacite… C’est entendu. Et on la vit aussi souvent parmi les petits. Mais Dingo n’avait pas lu Tacite… du moins, pas encore. D’autre part, une manie que je lui reprochais quelquefois, parce que j’y voyais une contradiction, me déroutait. Il recherchait extrêmement la société des dames élégantes. Même les plus sottes, même les plus ridiculement entichées de richesses, de noblesse, de préjugés sociaux