Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/124

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son amour pour les pauvres ? Est-ce qu’il aime aussi les pauvres pour leur seule odeur ?

— Mais naturellement, répliqua sans le moindre embarras mon savant ami… Il aime tout ce qui sent mauvais…

Je n’invente pas des histoires romanesques ; je raconte des choses que j’ai vues.

Loin de hérisser son poil, bomber l’échine, montrer des crocs menaçants, comme font les autres chiens, à la vue d’un misérable en guenilles, Dingo l’accueillait avec plus que de la bienveillance, plus que de la sympathie ; il lui faisait fête. Quand mendiants, chemineaux, vagabonds affamés sonnaient à la grille, il accourait au-devant d’eux, les encourageait à entrer, les accompagnait jusqu’à la cuisine et, Marie les ayant réconfortés de son mieux, il les reconduisait avec mille gentillesses, en gambadant, en agitant son panache doré, joyeusement. Il avait alors un léger roulement de la gorge, une sorte de ronron très doux, par quoi il exprimait sa satisfaction et qui voulait dire, du moins l’interprétais-je ainsi :

— Allons, braves gens, bon voyage ! bon courage !… Et surtout, ne manquez pas de revenir… Revenez encore plus nus, encore plus guenilleux, encore plus maigres et affamés… si c’est possible… C’est ainsi qu’on vous aime. Revenez ! revenez !