Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/164

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Et son étude, remplie de cartons poussiéreux et de vénérables paperasses, est un temple vers quoi convergent tous les intérêts, tous les désirs, toutes les espérances, toutes les passions, tous les crimes secrets d’un petit pays.

Dans les petits pays, comme Ponteilles, si jalousement fermés aux « étrangers », un notaire a beau venir de loin, de très loin, il n’est jamais considéré comme un « étranger ». Les paysans l’acceptent tout de suite. Non seulement ils l’acceptent, mais le jour même où il est venu, sans savoir, sans se demander d’où il est venu, ils le consacrent comme étant du sol, depuis toujours, comme étant de leur sol, dont, par une fiction exceptionnelle, ils imaginent qu’il est sorti, tout armé de ses panonceaux, pour le bonheur, c’est-à-dire pour l’enrichissement de tout le monde.

Méfiants envers leurs pères, leurs mères, leurs enfants et envers eux-mêmes, méfiants envers les animaux et les choses et envers l’ombre des choses, les paysans accordent au notaire une confiance illimitée. Cette confiance, constitutionnelle, congénitale, rien ne l’ébranle, ni les disparitions, ni les fuites, ni les catastrophes. Ruinés par celui qui est parti, ils se mettent aussitôt en devoir de se faire ruiner par celui qui arrive.

Outre ce symbole merveilleux de la propriété