Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/165

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qu’incarne dans les campagnes un notaire, il incarne encore un autre prodige non moins merveilleux, par où se révèlent mieux encore la divinité de son origine et la toute-puissance de ses surnaturelles fonctions : il écrit et il parle un jargon mystérieux, à quoi personne ne comprend jamais rien… Moins encore qu’au latin de la messe. Le paysan croit en Dieu, parce que Dieu parle en latin ; il croit au notaire, parce que le notaire écrit en jargon.

Le paysan est ainsi fait que s’il comprend, il discute. S’il discute, sa cupidité s’éveille aussitôt et s’exalte. Il devient alors intraitable. Impossible de s’entendre avec lui. S’il ne comprend pas, on peut le mener là où l’on veut, car jamais il n’avouera qu’il n’a pas compris. Son amour-propre est celui d’un enfant stupide et têtu.

J’ai vu, dans cet ordre de choses, des choses extrêmement comiques ou, ce qui revient au même, extrêmement tristes. J’ai vu un notaire lire à un paysan, très méfiant, très processif, la formule d’une quittance. Elle était tellement embrouillée, tellement enchevêtrée d’articles du Code, de lois, d’arrêts de cour, de commentaires juridiques, de vocables périmés, si totalement incompréhensible que la tête m’en tournait… À chaque phrase de ce jargon affolant, le notaire s’interrompait de lire. Et il demandait au paysan :