Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/19

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Respectueusement, je le déposai sur le sol, où ses cris redoublèrent. Et, vraiment, je ne pus m’empêcher de rire de ses mines revendicatrices, de son tapage irrité. Croyez bien qu’il n’y avait nulle moquerie, en dépit du ridicule équipage dans lequel m’arrivait ce petit pensionnaire, mais de la sympathie et de l’admiration pour lui.

Je l’avoue, l’idée seule que cet embryon protestât déjà et si spontanément, et sans aucune littérature, contre la stupidité, la malignité, la malpropreté des hommes ou contre leurs caresses, m’enflamma. Oui, j’avoue que ce pessimisme, en quelque sorte prévital, me réjouit dans mon pessimisme invétéré et fit que je m’intéressai davantage au sort de cet être larvaire qui, encore noyé dans les limbes et sans l’avoir jamais vu, allait entrer dans le monde avec une conception de l’humanité si parfaitement conforme à la mienne.

Spectacle émouvant et nouveau.

Un savant — je dis, bien entendu, un vrai savant — qui en eût été le témoin averti, n’eût point manqué d’écrire sur son carnet de notes cette observation psycho-systématique, capable de révolutionner toutes nos idées sur les chiens, et aussi, je pense, sur les hommes :

« Le chien naît misanthrope. »

Quant à notre petit animal, il ne consentit à s’apaiser que lorsqu’on lui eut apporté une jatte