Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/193

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Un matin, je trouve Piscot, qui, accroupi sur le sol, « éclaircit » une planche de carottes. Il est de mauvaise humeur… Il me raconte que, voilà déjà plus d’un an, on lui a accordé une prime de quinze francs, pour avoir donné à la Patrie huit enfants, sept garçons et une fille. Or, il ne peut pas toucher la prime. Chaque fois qu’il réclame, on le renvoie sans argent. Ce n’est pas qu’on refuse de le payer, mais on exige qu’il apporte des certificats… des papiers… un tas de pièces justificatives qu’il ne peut se procurer et qui, du reste, lui coûteraient bien plus cher que ce que la prime lui rapporterait. Il me dit :

— Qu’est-ce que vous pensez de ça ?… C’est tout de même fort… Pas plus tard qu’hier soir, en sortant d’ici, j’ai rencontré M. Lagniaud : « Eh bien, ma prime de quinze francs ? » que je lui ai demandé… Alors, M. Lagniaud m’a tapé sur l’épaule… m’a ri au nez : « Sacré Piscot ! qu’il a fait… il est bon enfant !… » Et puis, il m’a planté là… C’est tout de même drôle, à la fin des fins… C’est comme leur bureau de bienfaisance… En v’là une boutique !… Oh ! pour le pain de quatre livres, je le touche régulièrement, l’hiver, tous les dimanches… Oui, c’est vrai… Mais on ne peut seulement pas le manger… Une fois, il y avait bien une livre de crottes de souris, dans leur pain de quatre livres… Ma foi !… je l’ai jeté