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grandes années d’enthousiasme national, il lui est arrivé de gagner, en plus des petits verres, jusqu’à trente francs, jamais plus. Et il est content. La destinée, qui lui fut toujours rude, l’a rendu philosophe.

Piscot gagne trois francs par jour : c’est un prix fait et il s’y tient, sauf le dimanche, où, naturellement il ne gagne rien du tout et boit la majeure partie de ce qu’il gagne durant la semaine : un prix fait aussi. C’est un homme d’habitudes, de tradition : il a la tradition dans le sang. Du temps de défunt son père, on faisait comme ci, on faisait comme ça. Quand son intérêt immédiat n’est pas en jeu, il n’est pas, dans Ponteilles, de pire conservateur. Ah ! ne lui parlez pas des nouvelles méthodes de travail… des machines… des sacrées machines qui font du tort à l’ouvrier… Ne lui parlez pas non plus des engrais chimiques, qui brûlent le sol et n’en font que de la cendre…

— De la saleté ! De la poison !… Du fumier de vache pour les terres légères, du fumier de cheval pour les terres fortes… À la bonne heure… Je ne connais que ça…

Ce n’est pas lui qui jamais rêverait aux belles promesses des révolutions sociales… Dans les conversations politiques, chez Jaulin, il dit ce qu’avait dit, toute sa vie, défunt son père, à qui cela semble n’avoir pas beaucoup réussi.