Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/203

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automobiles qui passent. Du moins, deux vieux bidons rouillés, généralement vides, attestent sur le trottoir, devant la forge, cette prétention illusoire ; car il n’en vend jamais. Ou bien il n’en a pas « pour le moment »… ou bien, quand par hasard il en a, elle est beaucoup trop chère et les chauffeurs s’en vont, en lui riant au nez… Je dis à Jaulin :

— Jaulin, voulez-vous que je prenne mon essence chez vous ?… toute mon essence ?

Jaulin répond sans enthousiasme :

— Mon Dieu !… si ça peut vous rendre service…

— Qu’est-ce que vous la faites payer ?

Il réfléchit longuement et :

— Ma foi !… voilà… Pour tout le monde, c’est cinquante-deux centimes et demi… Pour vous… si vous m’en prenez beaucoup… par exemple, une caisse… pour vous… Eh bien… voyons… voyons…

Il caresse son menton, où la barbe pas rasée bruit comme la soie du cochon sous le couteau du charcutier. Et, la bouche tordue de grimaces, il se livre silencieusement à des calculs laborieux.

— Eh bien pour vous, reprend-il, ce sera cinquante-deux centimes… Ah !

J’objecte froidement :

— Elle vaut partout trente-huit centimes…

Jaulin sourit, haussa les épaules.