Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/223

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seulement des bricoles, à peine payées, en passant… de loin en loin, une journée… une demi-journée, dont on lui retient la moitié, par peur de la justice.

Et les enfants crient, la femme se lamente et les bat, et la voilà enceinte de son neuvième enfant. Quoi faire, quand on n’a plus rien à faire ? Piscot se saoule plus souvent qu’à l’ordinaire. Car, si on lui refuse du travail, on ne lui refuse jamais un petit verre. Le paysan a bon cœur. C’est même devenu une sorte d’amusement que de saouler Piscot et de lui faire raconter son éternelle histoire.

— Sacré Pierre… Il est rigolo cet animal-là !…

On le rencontre en semaine, traînant son long corps de faucheux dans la rue, zigzaguant sur le trottoir, se retenant aux murs et se parlant à lui-même.

— Enfin, c’est tout de même épatant, mon vieux Piscot… Tu dois neuf francs…

Il en doit plus de deux cents à l’heure présente… Et les frais courent toujours…

Dingo savait certainement ces histoires, comme il savait toutes les histoires du pays, toutes les histoires que nous ignorions. Lui seul connaissait Piscot jusqu’au fond de l’âme. Il ne l’abandonna pas, soit esprit de justice, sentiment de pitié ou goût du pittoresque. Il avait choisi, entre