Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute la distance sociale qui le séparait d’eux. Mais il se trouva tout de suite à l’étroit et mal à l’aise dans ce taudis obscur, encombré de misère… à l’étroit aussi et gêné dans ce triste espace de terre battue, malpropre, dans ce renfoncement ignoble de murs suintants et moussus, que le soleil ne venait jamais égayer. Alors, un après-midi, Dingo amena les enfants chez moi. Il prit d’abord le plus petit qu’il remorqua, qu’il entraîna très doucement vers la maison, par un pan de sa robe dans la gueule. Ensuite, il alla de la sorte chercher le second, puis le troisième et laissa les autres qu’il aimait bien, mais qu’il jugeait sans doute assez grands pour se tirer d’affaire et s’amuser entre eux… D’ailleurs, ils n’étaient pas souvent là. Ils couraient la campagne, rapinaient dans les jardins, les poulaillers, mendiaient aux portes, afin de rapporter le soir à la maison de quoi ne pas absolument mourir de faim.

Et ce furent désormais, sur le gazon des pelouses, entre les trois petits et Dingo, parmi les scabieuses, les marguerites, les sauges, les fleurs de salsifis sauvages, d’interminables parties, des cris, des chants, des ébats, des embrassades, des dégringolades, des luttes joyeuses et forcenées, des grondements pour rire, des déchirements pour être heureux. Les trois petits tiraient Dingo par les oreilles, la queue, sans que jamais il se rebiffât.